Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/207

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se grille et, au lieu d’être du bois, c’est du charbon. Les pipes en terre, elles résistent mieux, mais tout de même, il les rissole. Tu parles d’une gueule. Aussi, mon vieux, écoute-moi bien c’que j’te dis : il arrivera ce qui n’est pas souvent arrivé jamais : à force d’être poussée à blanc et cuite jusqu’aux moelles, sa pipe lui pétera dans le bec, devant tout l’monde. Tu voiras.

Peu à peu, le calme, le silence et l’obscurité s’établissent dans la grange et ensevelissent les soucis et les espoirs de ses habitants. L’alignement de paquets pareils que forment ces êtres enroulés côte à côte dans leurs couvertures semble une espèce d’orgue gigantesque d’où s’élèvent des ronflements divers.

Déjà le nez dans la couverture, j’entends Marthereau qui me parle de lui-même.

— J’suis marchand de chiffons, tu sais, dit-il, chiffonnier, pour mieux dire, mais tant qu’à moi, je l’suis en gros ; j’achète aux petits chiffonniers d’la rue, et j’ai un magasin — un grenier, quoi ! — qui m’sert de dépôt. J’fais tout l’chiffon, à dater du linge jusqu’à la boîte de conserves, mais principalement le manche de brosse, le sac et la savate ; et, naturellement, j’ai la spécialité des peaux d’lapin.

Et je l’entends, encore, un peu plus tard, qui me dit :

— Tant qu’à moi, tout petit et mal foutu que je suis, je porte encore un curond de cent kilos au grenier, à l’échelle, et avec des sabots aux pieds… Une fois, j’ai eu affaire à une espèce d’individu interloque, vu qu’i s’occupait, qu’on disait, à traire les blanches, eh bien…

— Milédi, c’que j’peux pas blairer, hé, s’écrie tout d’un coup Fouillade, c’est c’t’exercice et ces marches qu’on nous esquinte pendant le repos, j’en ai l’rein hachuré, et j’peux pas roupiller, courbaturé comme je le suis.

Bruit de ferraille du côté de Volpatte. Il s’est décidé