Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/221

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avant, tu sais – que j’voyais d’loin, sans pouvoir jamais y toucher, comme des diamants. Elle courait, tout partout, tu sais. Elle bagotait dans les lignes. Un jour, elle a du r’cevoir une balle, et rester là morte et perdue, jusqu’au hasard de c’te sape.

» Tu saisis la position. J’étais obligé de la soutenir d’un bras comme je pouvais, et de travailler de l’autre. Elle essayait d’me tomber d’ssus de tout son poids. Mon vieux, elle voulait m’embrasser, je n’voulais pas, c’étai’ affreux. Elle avait l’air de m’dire : « Tu voulais m’embrasser, eh bien, viens, viens donc ! » Elle avait sur le… elle avait là, attaché, un reste de bouquet de fleurs, qu’était pourri aussi, et, à mon nez, c’bouquet fouettait comme le cadavre d’une petite bête.

» Il a fallu la prendre dans mes bras, et tous les deux, tourner doucement pour la faire tomber de l’autre côté. C’était si étroit, si pressé, qu’en tournant, à un moment, j’l’ai serrée contre ma poitrine sans le vouloir, de toute ma force, mon vieux, comme je l’aurais serrée autrefois, si elle avait voulu…

» J’ai été une demi-heure à me nettoyer de son toucher et de c’t’odeur qu’elle me soufflait malgré moi et malgré elle. Ah ! heureusement que j’suis esquinté comme une pauv’ bête de somme. »

Il se retourne sur le ventre, ferme ses poings et s’endort, la face enfoncée dans la terre, en son espèce de rêve d’amour et de pourriture.