Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/224

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ment devant eux comme une ruelle borgne, peu sûre, pas éclairée et pas pavée. Elle est d’ailleurs inhabitée en cet endroit, constituant un passage entre les secondes et les premières lignes.

Les cuisiniers partis à la recherche du feu rencontrent deux Marocains dans la poussière crépusculaire. L’un a un teint de botte noire, l’autre un teint de soulier jaune. Une lueur d’espoir brille au fond du cœur des cuisiniers.

— Allumettes, les gars ?

— Macache ! répond le noir, et son rire exhibe ses longues dents de faïence dans la maroquinerie havane de sa bouche.

Le jaune s’avance et demande à son tour :

— Tabac ? Un chouia de tabac ?

Et il tend sa manche réséda et son battoir de chêne frotté d’un brou de noix qui s’est déposé dans les plis de la paume – et terminé par des ongles violâtres.

Pépin grommelle, se fouille, et tire de sa poche une pincée de tabac mêlée de poussière qu’il donne au tirailleur.

Un peu plus loin, on rencontre une sentinelle qui dort à moitié au milieu du soir, dans des éboulis de terre. Ce soldat à moitié éveillé dit :

— C’est à droite, puis encore à droite, et alors tout droit. Ne vous gourez pas.

Ils marchent. Ils marchent longtemps.

— On doit être loin, dit Volpatte au bout d’une demi-heure de pas inutiles, et de solitude encaissée.

— Dis donc, ça descend bougrement, vous ne trouvez pas ? fait Blaire.

— T’en fais pas, vieux panneau, raille Pépin. Mais si t’as les grelots, tu peux nous laisser tomber.

On marche encore dans la nuit qui tombe… La tranchée toujours déserte – un terrible désert en longueur – a pris un aspect délabré et bizarre. Les parapets sont en ruines ; des éboulements font onduler le sol comme des montagnes russes.