Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/240

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rondins, tous les croisements de route arrosés, les chemins fichus en l’air et changés en des espèces de longues bosses de convois cassés, de pièces amochées, de cadavres tortillés l’un dans l’autre comme entassés à la pelle. Tu voyais des trente types rester sur le carreau, d’un coup, aux carrefours ; tu voyais des bonshommes monter en tourniquant, toujours bien à des quinze mètres dans l’air du temps, et des morceaux de pantalon rester accrochés tout en haut des arbres qu’il y avait encore. Tu voyais de ces 380-là entrer dans une cambuse, à Verdun, par le toit, trouer deux ou trois étages, éclater en bas, et toute la grande niche être forcée de sauter ; et, dans les campagnes, des bataillons entiers se disperser et s’planquer sous la rafale comme un pauv’ petit gibier dans défense. T’avais par terre, à chaque pas, dans les champs, des éclats épais comme le bras, et larges comme ça, et i’ fallait quatre poilus pour soulever ce bout de fer. Les champs, t’aurais dit des terrains pleins d’rochers !… Et, pendant des mois, ça n’a pas décessé. Ah ! tu parles ! tu parles ! répéta le sergent en s’éloignant pour aller sans doute recommencer ailleurs ce résumé de ses souvenirs.

— Tiens, r’gard’ donc, caporal, ces gars, là-bas, i’ sont mabouls ?

On voyait, sur la position canonnée, des petitesses humaines se déplacer en hâte, et se presser vers les explosions.

— Ce sont des artiflots, dit Bertrand, qui, aussitôt qu’une marmite a éclaté, courent fouiner pour chercher la fusée dans le trou, parce que la position de la fusée, de la manière qu’elle est enfoncée, donne la direction de la batterie, tu comprends ; et la distance, on n’a qu’à la lire : elle se marque sur les divisions gravées autour de la fusée au moment qu’on débouche l’obus.

— Ça n’fait rien, i’s sont culottés, ces zigues-là, d’sortir par un marmitage pareil.

— Les artieurs, mon vieux, vient nous dire un bon-