Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/266

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

encerclé de galons du haut en bas, comme un tonneau. Il était dur pour le griffeton. Il s’appelait Loeb, – un Boche, quoi.

— J’l’ai connu ! s’écria Paradis. Quand la guerre elle s’est produit, il a été déclaré inapte au service armé, naturellement. Pendant que je faisais ma période, i’ savait déjà s’embusquer, mais c’était à tous les coins de rue pour te poisser : un jour d’prison, i’ t’collait par bouton non boutonné, et i’ t’en f’sait par-dessus le marché quinze grammes devant tout le monde si t’avais un p’tit quéqu’chose dans la mise qui bichait pas avec le règlement – et le monde rigolait : lui croyait que c’était d’toi, mais toi tu savais qu’c’était d’lui ; mais t’avais beau l’savoir, t’étais bon jusqu’au trognon pour la tôle.

— Il avait une femme, reprend Tirette. C’te vieille…

— J’m’en rappelle aussi, exclama Paradis, tu parles d’un choléra !

— Y en a qui traînent un roquet, lui, i’ traînait partout c’te poison qu’était jaune, tu sais, comme y a d’ces pommes, avec des hanches de sac à brosse, et l’air mauvais. C’est elle qui excitait c’vieux nœud contre nous : sans elle, il était plus bête que méchant, mais du coup qu’elle était là, i’ d’venait plus méchant qu’bête. Alors, tu parles si ça bardait…


À ce moment, Marthereau qui dormait près de l’entrée se réveille dans un vague gémissement. Il se redresse, assis sur sa paille comme un prisonnier, et on voit sa silhouette barbue se profiler en ombre chinoise et son œil rond qui roule, qui tourne, dans la pénombre. Il regarde ce qu’il vient de rêver.

Puis, il passe sa main sur ses yeux et, comme si cela avait un rapport avec son rêve, il évoque la vision de la nuit où l’on est monté aux tranchées.

— Tout de même, dit-il d’une voix embarrassée de sommeil et de songe, y en avait du vent dans les voiles cette