Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/280

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ou étendus comme des lignes. On arrive. Le talus se précise avec ses formes sournoises, ses détails : les créneaux… On en est prodigieusement, incroyablement près…

Quelque chose tombe devant nous. C’est une grenade. D’un coup de pied, le caporal Bertrand la renvoie si bien qu’elle saute en avant et va éclater juste dans la tranchée.

C’est sur ce coup heureux que l’escouade aborde le fossé.

Pépin s’est précipité à plat ventre. Il évolue autour d’un cadavre. Il atteint le bord, il s’y enfonce. C’est lui qui est entré le premier. Fouillade, qui fait de grands gestes et crie, bondit dans le creux presque au moment où Pépin s’y coule… J’entrevois — le temps d’un éclair — toute une rangée de démons noirs, se baissant et s’accroupissant pour descendre, sur le faîte du talus, au bord du piège noir.

Une salve terrible nous éclate à la figure, à bout portant, jetant devant nous une subite rampe de flammes tout le long de la bordure. Après un coup d’étourdissement, on se secoue et on rit aux éclats, diaboliquement : la décharge a passé trop haut. Et aussitôt, avec des exclamations et des rugissements de délivrance, nous glissons, nous roulons, nous tombons vivants dans le ventre de la tranchée !

Une fumée incompréhensible nous submerge. Dans le gouffre étranglé, je ne vois d’abord que des uniformes bleus. On va dans un sens puis dans l’autre, poussés les uns par les autres, en grondant, en cherchant. On se retourne, et, les mains embarrassées par le couteau, les grenades et le fusil, on ne sait pas d’abord quoi faire.

— I’s sont dans leurs abris, les vaches ! vocifère-t-on.