Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/294

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Nous sortons tous trois du boyau quand la pente du terrain permet de le faire sans danger de balles – puisque le canon ne donne pas. Aussitôt dehors, nous heurtons un rassemblement. Il pleut. À travers les jambes lourdes plantées comme des arbres tristes, dans la brume, sur la plaine bise, on aperçoit un mort.

Volpatte se faufile jusqu’à la forme horizontale autour de laquelle attendent ces formes verticales. Alors, il se retourne violemment et nous crie :

— C’est Pépin !

— Ah ! dit Joseph qui est déjà presque défaillant.

Il s’appuie sur moi. Nous nous approchons. Pépin, allongé, a les pieds et les mains tendus, crispés, et sa figure sur qui coule la pluie est tuméfiée, talée et affreusement grise.

Un homme qui tient une pioche et dont la face en sueur est pleine de petites tranchées noirâtres, nous raconte la mort de Pépin :

— L’était entré dans une calebasse où des Boches s’étaient planqués. Et v’là qu’on ne l’savait pas et qu’on a enfumé la niche pour nettoyer, et l’pauv’ petit frère, on l’a r’trouvé après l’opération, crampsé, et tout étiré comme un boyau d’chat, au milieu de la viande des Boches qu’il avait saignés avant – et bien proprement saignés, j’peux l’dire, moi que j’suis établi boucher dans la banlieue parisienne.

— Un de moins à l’escouade ! dit Volpatte, tandis que nous nous en allons.

Nous nous trouvons maintenant en haut du ravin, à l’endroit où commence le plateau que notre charge a parcouru éperdument, hier au soir, et qu’on ne reconnaît pas.

Cette plaine, qui m’avait alors donné l’impression d’être toute de niveau et qui, en réalité, se penche, est un extraordinaire charnier. Les cadavres y foisonnent. C’est comme un cimetière dont on aurait enlevé le dessus.

Des bandes le parcourent, identifiant les morts de la