Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/310

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on a d’abord l’impression qu’on n’aura pas la place, ni de descendre, ni de remonter. En s’enfonçant dans ce gouffre, on continue le cauchemar d’étouffement qu’on a subi graduellement à mesure qu’on avançait dans les entrailles des tranchées avant de sombrer jusqu’ici. De tous côtés, on se cogne, on frotte, on est empoigné par l’étroitesse du passage, on est arrêté, coincé. Il faut changer de place ses cartouchières en les faisant glisser sur son ceinturon, et prendre ses musettes dans ses bras, contre sa poitrine. À la quatrième marche, l’étranglement augmente encore et on a un moment d’angoisse : si peu qu’on lève le genou pour avancer en arrière, le dos porte contre la voûte. À cet endroit-là, il faut se traîner à quatre pattes, toujours à reculons. À mesure qu’on descend dans la profondeur, une atmosphère empestée et lourde comme de la terre, vous ensevelit. La main éprouve le contact, froid, gluant, sépulcral, de la paroi d’argile. Cette terre vous pèse de tous côtés, vous enlinceule dans une lugubre solitude, et vous touche la figure de son souffle aveugle et moisi. Aux dernières marches, qu’on met longtemps à gagner – on est assailli par la rumeur ensorcelée qui monte du trou, chaude, comme d’une espèce de cuisine.

Quand on arrive enfin en bas de ce boyau à échelons, qui vous coudoie et vous étreint à chaque pas, le mauvais rêve n’est pas terminé : on se trouve dans une cave où règne l’obscurité, très longue, mais étroite, qui n’est qu’un couloir, et qui n’a pas plus d’un mètre cinquante de hauteur. Si on cesse de se plier et de marcher les genoux fléchis, on se heurte violemment la tête aux madriers qui plafonnent l’abri et, invariablement, on entend les arrivants grogner plus ou moins fort, selon leur humeur, et leur état : « Ben, heureusement que j’ai mon casque ! »

Dans une encoignure, on distingue le geste d’un être accroupi. C’est un infirmier de garde qui, monotone, dit à chaque arrivant : « Ôtez la boue de vos souliers