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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/312

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m’asseoir. J’avance un peu, tâtonnant, toujours penché, recroquevillé, et les mains en avant.

À la faveur d’une pipe qu’un fumeur incendie, je vois devant moi un banc chargé d’êtres.

Mes yeux s’habituent à la pénombre qui stagne dans la cave, et je discerne à peu près cette rangée de personnages dont des bandages et des emmaillotements tachent pâlement les têtes et les membres.

Éclopés, balafrés, difformes — immobiles ou agités — cramponnés sur cette espèce de barque, ils figurent, clouée là, une collection disparate de souffrances et de misères.

L’un d’eux, tout d’un coup, crie, se lève à demi, et se rassoit. Son voisin, dont la capote est déchirée et la tête nue, le regarde et lui dit :

— Quand tu te désoleras !

Et il redit cette phrase plusieurs fois, au hasard, les yeux fixés devant lui, les mains sur les genoux.

Un jeune homme assis au milieu du banc parle tout seul. Il dit qu’il est aviateur. Il a des brûlures sur un côté du corps et à la figure. Il continue à brûler dans la fièvre, et il lui semble qu’il est encore mordu par les flammes aiguës qui jaillissaient du moteur. Il marmotte : « Gott mit uns ! » puis : « Dieu est avec nous ! »

Un zouave, au bras en écharpe, et qui, incliné de côté, porte son épaule comme un fardeau déchirant, s’adresse à lui :

— T’es l’aviateur qu’est tombé, s’pas ?

— J’en ai vu des choses… répond l’aviateur, péniblement.

— Moi aussi, j’en ai vu ! interrompit le soldat. Y en a qui battraient des ailes, s’ils avaient vu ce que j’ai vu.

— Viens t’asseoir ici, me dit un des hommes du banc en me faisant une place. T’es blessé ?

— Non, j’ai conduit ici un blessé et je vais repartir.

— T’es pire que blessé, alors. Viens t’asseoir.

— Moi, je suis maire dans mon pays, explique un des