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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/45

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Puis, plus haut : « Par ici, mesdames et messieurs ! » qu’on leur dit.

— Débloque ! lui souffle Farfadet, craignant qu’avec « sa grande gueule » Barque n’attire l’attention des puissants personnages.

Du groupe, des têtes se tournent de notre côté. Un monsieur se détache vers nous, en chapeau mou et en cravate flottante. Il a une barbiche blanche et semble un artiste. Un autre le suit, en pardessus noir, celui-là, avec un melon noir, une barbe noire, une cravate blanche et un lorgnon.

— Ah ! ah ! fait le premier monsieur, voilà des poilus… Ce sont de vrais poilus, en effet.

Il s’approche un peu de notre groupe, un peu timidement, comme au Jardin d’Acclimatation, et tend la main à celui qui est le plus près de lui, non sans gaucherie, comme on présente un bout de pain à l’éléphant.

— Hé, hé, ils boivent le café, fait-il remarquer.

— On dit le « jus », rectifie l’homme-pie.

— C’est bon, mes amis ?

Le soldat, intimidé lui aussi par cette rencontre étrange et exotique, grogne, rit et rougit, et le monsieur dit : « Hé, hé ! »

Puis il fait un petit signe de la tête, et s’éloigne à reculons.

— C’est très bien, c’est très bien, mes amis. Vous êtes des braves !

Le groupe, fait des teintes neutres des draps civils semées de teintes militaires vives — comme des géraniums et des hortensias parmi le sol sombre d’un parterre — oscille, puis passe et s’éloigne par le côté opposé à celui d’où il est venu. On a entendu un officier dire : « Nous avons encore beaucoup à voir, messieurs les journalistes. »

Quand le brillant ensemble s’est effacé, nous nous regardons. Ceux qui s’étaient éclipsés dans les trous s’exhument, du haut, graduellement. Les hommes se ressaisissent et haussent les épaules.