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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/96

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bossuée d’un tonneau, a vendu quelques litres aux hommes de garde. Il disparaît au tournant de la route, avec sa face jaune et plate comme le camembert, ses rares cheveux légers, effilochés en flocons de poussière, si maigre dans son pantalon flottant qu’on dirait que ses pieds sont rattachés à son torse par des ficelles.

Et entre les poilus désœuvrés du corps de garde, au bout du pays, sous l’aile de la plaque indicatrice, ballottante et grinçante qui sert d’enseigne au village, il s’établit une conversation à propos de ce polichinelle errant.

— Il a une sale bougie, dit Bigornot. Et pis, veux-tu que je te dise ? On ne devrait pas laisser tant de civelots se baguenauder sur le front, en douce poil-poil, surtout des mecs dont on ne connaît pas bien l’originalité.

— Tu abîmes, pou volant, répond Cornet.

— T’occupe pas, face de semelle, insiste Bigornot, on s’méfie pas assez. J’sais c’que j’dis quand je l’ouvre.

— Tu sais pas, dit Canard, Pépère va à l’arrière.

— Les femmes ici, murmura La Mollette, a sont laides, c’est des r’mèdes.

Les autres hommes de garde, promenant leurs regards braqués dans l’espace, contemplent deux avions ennemis et l’écheveau embrouillé de leurs lacis. Autour des oiseaux mécaniques et rigides, qui, suivant le jeu des rayons, apparaissent dans les hauteurs, tantôt noirs comme des corbeaux, tantôt blancs comme des mouettes – des multitudes d’éclatements de shrapnells pointillent l’azur et semblent une longue volée de flocons de neige dans le beau temps.

On rentre. Deux promeneurs s’avancent. Ce sont Carassus et Cheyssier.

Ils annoncent que le cuisinier Pépère s’en va s’en aller à l’arrière, cueilli par la loi Dalbiez et expédié dans un régiment territorial.

— V’là un filon pour Blaire, dit Carassus, qui a au