Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/103

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ces trésors, et tu possèdes les clefs du paradis, ô juste, subtil et puissant opium ! »

Mais un mangeur d’opium n’est jamais heureux longtemps ; c’est encore Quincey qui le dit.

Ses études terminées, il s’était établi en poète dans une maison de poète, une modeste chaumière « vêtue de beauté » par le lierre et les roses grimpantes, et située dans la pittoresque région des lacs. Il l’avait bourrée de livres de choix — elle en était « populeuse », — et s’était enfoncé dans la métaphysique allemande avec l’intention de consacrer toutes les forces de son intelligence, « fleurs et fruits », à un seul ouvrage dont les grandes lignes commençaient à se dessiner dans son esprit. Il en avait choisi le titre, emprunté à Spinoza : De emendatione humani intellectus ; De la réforme de l’entendement humain ; et fixé l’objet : « exalter la nature humaine au mieux des facultés que Dieu lui avait départies. »

Pour délassement de ses travaux, il avait les promenades dans un beau pays. Marcheur intrépide, Quincey fut bientôt connu à plusieurs lieues à la ronde de tous les paysans, qui s’étonnaient de le voir passer, seul et rapide, dans les ténèbres. Il commençait à prendre les habitudes de noctambule qui ont aidé à son renom de bizarrerie, et auxquelles l’opium n’a pas été étranger :

« J’aimais, dit-il, à suivre la marche de la nuit d’après les signes qui apparaissaient aux fenêtres ; à voir flamboyer le feu à travers les vitres de maisons isolées, tapies dans quelque enfoncement ; à surprendre les bruits joyeux de la vie de famille, dans des solitudes qui avaient l’air abandonnées aux hiboux ; à distinguer plus loin l’heure du coucher, puis l’envahissement des maisons par le silence, puis le règne somnifère du grillon ; à entendre par intervalles, au pied des puissantes collines, l’horloge d’une église