Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/115

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Lui aussi, il est un tyran impitoyable, acharné à faire souffrir qui essaie de lui échapper. La lutte que nous allons raconter est véritablement effroyable.

Le jour où Thomas de Quincey, acculé au suicide ou à la folie, se résolut sous l’aiguillon de la terreur à l’effort qu’il avait refusé à des motifs plus nobles, il connut l’étendue de son malheur et le poids de ses chaînes. Il eut beau procéder par degrés, il endura des tortures qui le précipitèrent de rechute en rechute. Sa bouche se remplissait d’ulcères et d’enflures. Chaque respiration lui coûtait une nausée. Il éprouvait des douleurs atroces à l’estomac. Une surexcitation violente ne lui permettait point de fermer l’œil, ni de tenir en place. Il lui arrivait alors de se jeter comme un fou sur son flacon de laudanum et de boire à longs traits : « Ne me demandez pas combien. Dites, vous, les plus sévères, qu’auriez-vous fait à ma place ? Je recommençais à m’abstenir ; j’en reprenais ; je recommençais, et ainsi de suite[1]. »

Il sentait le joug de la « noire idole » s’appesantir à chaque rechute. La troisième fut suivie de « phénomènes nouveaux et monstrueux » sur lesquels il ne s’explique pas davantage, et qui eurent l’heureux effet d’aiguiser ses terreurs : « Quand il me fut impossible de me dissimuler que ces effroyables symptômes poursuivaient leur marche en avant, sans jamais s’arrêter et en accélérant leur allure avec une régularité solennelle, je fus pris de panique, et j’essayai pour la quatrième fois de rétrograder. Mais au bout de quelques semaines, j’eus la profonde conviction que c’était impossible. Or, je vis dans mes rêves, qui traduisaient tout en leur langage, que les hautes portes qui étaient placées au bout des immenses avenues de ténèbres se

  1. Lettre au London Magazine du mois de décembre 1821.