Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/116

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déroulant devant moi, et qui étaient restées ouvertes jusqu’ici, me barraient enfin la retraite ; elles étaient fermées et tendues de crêpes funéraires[1]. »

Il compare son état d’esprit, à la suite de ce rêve, à celui d’une personne qui courait délivrer un condamné à mort et qui arrive trop tard : « Les sentiments évoqués par la révélation soudaine que tout est perdu s’amassent silencieusement dans le cœur ; ils sont trop profonds pour se traduire par des gestes ou des paroles, et rien n’en transpire au dehors. Si le désastre dépendait d’une condition quelconque, s’il était le moins du monde douteux, il serait naturel de pousser des cris, de faire appel à quelque sympathie. Mais lorsqu’on comprend qu’il s’agit d’un désastre absolu, lorsque aucune sympathie ne peut être une consolation, et aucun conseil apporter d’espérance, la voix s’éteint, le geste se glace, et l’âme humaine se replie vers son centre. Pour moi, du moins, à la vue de ces portes redoutables fermées et tendues de draperies de deuil, comme si la mort était déjà un fait accompli, je ne parlai pas, je ne tressaillis point, je ne poussai point de gémissements. Un profond soupir monta de mon cœur, et je restai muet pendant bien des jours. » Il sentait sur lui « la force de la folie », et un désespoir farouche l’étreignait.

Cela dura des années. Chaque pas en avant était suivi d’une reculade, et le supplice des cauchemars recommençait. Quincey en était arrivé à avoir des hallucinations en plein midi. Les fleurs des bois et les herbes des champs devenaient des « faces humaines » pour ses yeux en délire, et, si ces visions ne figurent point dans les Confessions d’un mangeur d’opium, c’est que ces portions de son manuscrit ont été

  1. Œuvres complètes : Suspiria de profundis : Dreaming