Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/133

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profonde, lors de l’introduction dans le monde de l’idée chrétienne du péché. Les païens ne savaient pas ce que c’est que « pécher », dans le sens où nous prenons le mot depuis tantôt dix-neuf siècles. Ils connaissaient « le vice » et « la vertu », opposaient « le coupable » à « l’innocent », mais tous ces mots leur représentaient des idées différentes des nôtres, puisqu’ils n’attachaient pas aux préceptes de la morale le caractère de « sainteté » qu’un chrétien attache aux dix commandements et qui donne une saveur de sacrilège à chaque violation de la loi. À cause de cette seule différence, leur psychologie et leurs motifs d’action étaient tout autres, et cela se voit de reste dans leur théâtre. On pourrait presque ramener à une seule les différences qui séparent une tragédie grecque d’une tragédie moderne : celle-là est d’avant l’idée de péché, celle-ci d’après ; il a suffi d’une idée pour couper en deux le monde moral et littéraire[1].

Quincey était encore sur les bancs, qu’il pensait déjà ces choses. Il les avait eues présentes à l’esprit et s’était abandonné à leur influence tandis qu’il étudiait le grec et la littérature antique. Jamais il ne les avait perdues de vue, puisqu’il y revient dans trois au moins de ses articles, écrits à de longs intervalles. L’on devait croire que, se décidant un jour à exposer ses idées sur le théâtre grec[2], il ferait ample usage d’une formule aussi féconde. L’opium, apparemment, la lui fit prendre ce jour-là en « puissant dégoût », car on n’y trouve même pas une allusion dans la Théorie de la tragédie grecque ou dans l’Antigone de Sophocle.

Ses jugements sur les modernes lui étaient dictés

  1. Œuvres complètes : Oxford (1835). Glance at the works of Mackintosh (1846), The Theban Sphinx (1849).
  2. Theory of greek tragedy (1840). — The Antigone of Sophocles (1846).