Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/142

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fragments singuliers, et quelquefois admirables, qu’il avait annoncés sous ce titre général : Suspiria de profundis : suite aux Confessions d’un mangeur d’opium anglais. C’est là qu’il faut chercher ses chefs-d’œuvre ; mais les Suspiria de profundis sont liés trop intimement à sa vie intérieure pour pouvoir se séparer de sa biographie.


VI

Le succès ne lui avait pas tourné la tête. Plus timide et plus nerveux que jamais, Quincey se cachait du monde et de ses meilleurs amis dans les garnis de Londres ou d’Édimbourg ; il fallait quelquefois de longues recherches et beaucoup de sagacité pour retrouver sa trace. Il donnait pour excuse de ses allures mystérieuses qu’il était perpétuellement pourchassé par des créanciers, et il y avait là dedans une part de vérité. Quincey était voué à la misère, et il n’aurait pas eu huit enfants qu’il n’en aurait été ni plus ni moins. Il était pauvre par des raisons « subjectives », comme l’auteur de l’Ecclésiaste était pessimiste. La paralysie de la volonté en avait fait dans la vie pratique un tout petit enfant, incapable de l’acte le plus simple. Il en était venu à ne pas savoir payer une note, même quand il avait l’argent. À sa mort, on trouva dans ses papiers une collection de factures qu’il avait cachées pour n’y plus penser. C’était sa manière de régler les affaires, mais ses créanciers ne l’entendaient pas ainsi et réclamaient. Quincey n’ouvrait pas leurs lettres ; il avait un flair infaillible pour deviner celles qui « le rendraient malheureux », et il les envoyait rejoindre les factures. Les créanciers se décidaient un beau jour à venir le relancer, et c’est alors qu’il pre-