Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/143

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nait la fuite de taudis en taudis. Son imagination grossissante lui montrait toute une meute sur ses talons ; il se figura pendant des années avoir la moitié des logeuses d’Édimbourg à ses trousses.

Jamais on ne put lui apprendre à toucher une traite. Un directeur de revue, Charles Knight, avait pris chez lui, à Londres, ce collaborateur fugace. Un soir, plus de Quincey. Au bout de plusieurs jours, on le retrouva dans un bouge d’un quartier mal famé. Il avait reçu une traite de sa mère et n’avait pas réussi à la toucher à cause d’une horrible complication : elle n’était pas échue. Alors il s’était sauvé, de peur d’avoir à entrer dans des explications avec le domestique de son hôte sur un projet qu’il avait dû abandonner faute d’argent. Charles Knight le décida à revenir en lui jurant qu’il aurait son argent le lendemain matin. Quincey n’en croyait pas ses oreilles : « Quoi ? Comment ? s’écriait-il. Est-ce possible ? Est-ce qu’on peut toucher avant l’échéance[1] ? »

Une autre fois, il tombe chez un ami au milieu de la nuit, force sa porte et lui explique gravement, dans son langage un peu cérémonieux, qu’il lui faut absolument, à l’instant même, sept shellings six pence. Pendant ce discours, Quincey croit remarquer que le visage de son ami se rembrunit, et il se rappelle fort à propos qu’il a sur lui un « document » pouvant servir de « garantie ». Il fouille dans ses poches et en tire une quantité inimaginable de bouts de ficelle, de bouts de crayon, d’objets informes, innommables, parmi lesquels se trouve enfin une petite boulette de papier : « Il la déchiffonne. C’était un billet de banque de cinquante livres sterling. » Quincey avait essayé de le changer, s’était heurté, comme pour la traite, à des

  1. Passages of a working life, par Charles Knight.