Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/168

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remords après chaque défaite. Le premier venu pouvait le morigéner : il courbait la tête et remerciait. On le dénonçait publiquement : alors il mentait, mentait, avec la maladresse éperdue du criminel qui perd la tête en se voyant découvert. Il jura jusqu’au dernier jour qu’il guérirait, et se crut plusieurs fois sauvé ; l’alcoolisme le ressaisissait en pleine allégresse de délivrance, et lui faisait faire un pas de plus vers l’hôpital. Sa vie a été tragique, sa fin abominable, mais c’est ainsi qu’il est vrai, et émouvant, et attachant malgré tout ; et c’est ainsi que nous allons tâcher de le montrer[1].


I

Il descendait d’une bonne famille anglaise, établie en Irlande au temps de Cromwell. Vers le milieu du XVIIIe siècle, un Poe émigra en Amérique, où il ne trouva point la fortune. Son fils, qui fut le grand-père du poète, était simple charron à Baltimore, quand la guerre de l’indépendance lui fournit l’occasion de se distinguer et de gagner le surnom de général Poe, « en récompense de ses services révolutionnaires[2] », rapporte l’histoire. On raconte aussi que Lafayette, à son dernier voyage aux États-Unis, baisa la terre de son

  1. Parmi les nouvelles publications qui ont aidé à rendre à Poe sa physionomie véritable, une mention spéciale est due à la biographie de M. George Woodberry : Edgar Allan Poe. — M. Woodberry est le premier qui ait pu nous dire ce qu’Edgar Poe avait fait de son temps, entre dix-huit et vingt et un ans, et qui ait enfin éclairci le mystère de sa mort. Son livre est riche en documents inédits et écrit avec modération, sinon avec sympathie.
  2. Woodberry, Edgar Allan Poe.