Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/202

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forme » dont l’humanité est le jouet. Poe avait reçu le rayon d’en haut, devant lequel chacun de nous doit s’incliner avec respect, que l’on aime ou non les œuvres qu’il a fait éclore.


IV

Quand on veut être clair, on n’écrit pas en vers. On se sert de la prose. Elle est faite pour cela, et « il n’y a pas d’idée qui ne puisse s’énoncer clairement, poursuivait Poe en paraphrasant le vers de Boileau, du moment qu’on la conçoit bien ». Non seulement la prose peut toujours être claire, mais elle doit toujours l’être, quelque indistincts que soient les objets à dépeindre, quelque fugaces que soient les sensations à analyser. C’est une question d’application et de discernement. Poe ne croyait pas aux inspirés qui écrivent comme la Pythie rendait des oracles, sous la dictée du dieu : « Créer, disait-il, c’est combiner, soigneusement, patiemment, et avec intelligence. » En ce qui le concernait, il combinait les impressions « psychiques plutôt qu’intellectuelles » qu’il rapportait du pays des songes ou du monde occulte. Ses contes ne différaient pas sur ce point de ses poésies. Il y employait de même toutes les ressources d’un esprit lucide à saisir l’insaisissable, et à le saisir plus fortement, à l’étreindre, n’étant plus content ici de le suggérer, et exigeant qu’en prose ces choses obscures devinssent lumineuses, que ces sensations vagues devinssent aiguës et pénétrantes. La difficulté, qu’il ne se dissimulait pas, était de fixer en langage humain, sans leur enlever leur fluidité, des idées qui ne sont plus ou ne sont pas encore des idées, des phénomènes pour lesquels le mot impression est