Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/223

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souliers, plus 12 shillings[1]. » Il est très regrettable qu’on nous laisse ignorer le titre de cette pièce sans queue ni tête ; il y a des chances pour qu’elle soit l’une des plus belles d’Edgar Poe.

Virginie, la fille de tante Clemm, était une merveille de beauté, mais trop frêle et trop blanche, avec de grands yeux noirs trop brillants. Elle excitait l’admiration et la surprise des étrangers, qui ne se lassaient point de s’étonner que cette créature aérienne, à peine de la terre, fût l’enfant du grand gendarme femelle qui se faisait câlin pour la servir. La mère et la fille ne se ressemblaient que par un dévouement également absolu, sinon également actif, pour leur mélancolique ami. Poe nous a confié dans le plus délicat de ses contes, Éléonora, en transportant la scène au pays du bleu, comment, d’une amitié de petite fille à grand cousin, était né un soir, entre Virginie et lui, un amour qui ne fut vaincu que par la mort. Il se suppose élevé avec sa cousine dans une campagne heureuse et solitaire, la vallée du Gazon-Diapré, où coule sans bruit la rivière du Silence : « Pendant quinze ans[2], Éléonora et moi, la main dans la main, nous errâmes à travers cette vallée avant que l’amour entrât dans nos cœurs. Ce fut un soir, à la fin du troisième lustre de sa vie et du quatrième de la mienne, comme nous étions assis, enchaînés dans un mutuel embrassement, sous les arbres serpentins, et que nous contemplions notre image dans les eaux de la rivière du Silence. Nous ne prononçâmes aucune parole durant la fin de cette délicieuse journée, et, même encore le matin, nos paroles étaient tremblantes et rares. Nous avions tiré le dieu Éros de cette onde, et nous sen-

  1. Ingram, vol. II.
  2. En réalité, deux ans.