Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/252

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mignonne a été enterrée dans de la belle toile. » Mrs Shew aida à la mettre dans son linceul. Elle prit le manteau d’ordonnance qui lui avait servi de couverture et le cacha, à cause des pénibles souvenirs qu’il réveillait ; mais il fallut le rendre à Poe pour l’enterrement, car il n’en avait pas d’autre, et le ciel hivernal était « de cendre et morne », ainsi qu’il l’a décrit dans Ulalume. Quand il revint du cimetière, le monde était décoloré à ses yeux. Le printemps ne ramena que des fleurs de deuil ; les mêmes campagnes que l’amour avait parées d’une beauté surnaturelle se changèrent en lieux revêches et déserts. Il avait dépeint d’avance cette seconde métamorphose dans Éléonora. « Les fleurs étoilées s’abîmèrent dans le tronc des arbres et ne reparurent plus. Les teintes du vert tapis s’affaiblirent ; et un à un dépérirent les asphodèles d’un rouge de rubis, et à leur place jaillirent par dizaines les sombres violettes, semblables à des yeux qui se convulsaient péniblement et regorgeaient toujours de larmes de rosée. Et la Vie s’éloigna de nos sentiers ; car le grand flamant n’étala plus son plumage écarlate devant nous, mais s’envola tristement de la vallée vers les montagnes avec tous les gais oiseaux aux couleurs brillantes qui avaient accompagné sa venue. Et les poissons d’argent et d’or s’enfuirent en nageant à travers la gorge, vers l’extrémité inférieure de notre domaine, et n’embellirent plus jamais la délicieuse rivière. Et cette musique caressante, qui était plus douce que la harpe d’Éole et que tout ce qui n’était pas la voix d’Éléonora, mourut peu à peu en murmures qui allaient s’affaiblissant graduellement, jusqu’à ce que le ruisseau fût enfin revenu tout entier à la solennité de son silence originel. Et puis, finalement, le volumineux nuage s’éleva, et, abandonnant les crêtes des montagnes à leurs an-