Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/263

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tion que le médecin a racontée : « Poe manifesta le plus sincère désir d’échapper à l’esclavage du péché qui le possédait, et raconta ses efforts répétés, mais inutiles, pour s’en affranchir. Il était ému jusqu’aux larmes, et il finit par déclarer de la façon la plus solennelle que, cette fois, il aurait la volonté de se dominer, de résister à n’importe quelle tentation[1]… »

Deux épisodes tragi-comiques viennent rompre la monotonie de ces horreurs. Ils lui ont fait grand tort aux États-Unis, bien injustement à mon sens ; on l’accusa de marcher sur les traces de don Juan, alors qu’il était tout simplement sur la route des Petites-Maisons.

Il avait entrepris in extremis, moins pour lui-même que pour la fidèle tante Clemm, d’épouser quelque bonne âme dont la fortune les mît à l’abri du besoin. C’était outrecuidant, mais on ne peut pas dire qu’il ait cherché à tromper son monde. Son choix tomba d’abord sur une poétesse vieille et laide, excellente femme au demeurant. On la nommait Mrs Whitman. Poe lui adressa sans la connaître des lettres enflammées : « Je vous ai déjà dit que j’ai entendu parler de vous, pour la première fois, par X***, qui avait prononcé votre nom en passant. Elle avait fait allusion à ce qu’elle appelait vos excentricités, et touché un mot de vos chagrins… Une sympathie profonde s’empara sur-le-champ de mon âme. Je ne puis mieux vous exprimer ce que je ressentis qu’en disant que votre cœur inconnu sembla passer dans ma poitrine — pour y habiter à jamais, — tandis que le mien était transféré dans la vôtre. Je vous ai aimée depuis cet instant. Jamais, depuis, je n’ai lu ou entendu votre nom sans un frisson, moitié de délice, moitié d’anxiété… Mais

  1. Ingram, loc. cit.