Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/268

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mière édition des Œuvres complètes d’Edgar Poe, à cause de « l’incertitude de sa gloire[1] ».

Le vieux monde n’eut point de ces hésitations. En Angleterre, Poe conquit rapidement une réputation. En France, on le comprit sans effort, on l’aima tout de suite[2]. Il en a été pour lui comme pour Hoffmann et Henri Heine, deux génies également contraires au nôtre et dont nous avons aussi, en grande partie, fait la gloire, avec des enthousiasmes et des tendresses qu’éveillent seules certaines affinités électives nées de contrastes. Nous eûmes Edgar Poe dans les moelles à partir de la belle traduction de Baudelaire (1856-1865), dont l’école se rattache ainsi aux romantiques allemands par Poe et Hoffmann, aux romantiques anglais par le même Poe et Coleridge. On sait combien l’influence de Baudelaire a été persistante chez nous. Il n’est que juste d’en reporter une part à son maître et de reconnaître que c’est bien souvent d’Edgar Poe qu’on s’inspire en croyant suivre Baudelaire[3].

Les États-Unis ont à présent une littérature, des savants, des lettrés ; ils n’ont garde de méconnaître un de leurs premiers écrivains, et ils se sont mis en règle avec lui. On a transporté ses restes, du coin ignoré où ils reposaient, dans un endroit « qu’on peut voir de la

  1. Préface générale des Œuvres complètes (Chicago, Stone et Kimball).
  2. Les journaux traduisaient ses contes à mesure. Mme Isabelle Meunier en publia un choix en volume à la suite de l’essai élogieux donné par Forgues, le 15 octobre 1846, dans la Revue des Deux Mondes. Les articles sur Edgar Poe publiés en France rempliraient des volumes. Barbey d’Aurevilly lui en a consacré quatre, pour sa part, de 1853 à 1883.
  3. Sur l’influence persistante de Baudelaire en France, voir l’article de M. Brunetière : Charles Baudelaire (Revue des Deux mondes du 1er juin 1887).