Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/270

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accomplir tous mes devoirs et… obéir aux principes de la plus stricte sobriété, dont le premier est la suppression de tous les excitants, quels qu’ils soient. » On a beau être pénétré d’indulgence pour Poe, à cause des fatalités de sa naissance et de sa vie, l’idée d’en faire un ange gardien ne laisse pas de surprendre.

Il est clair qu’aux États-Unis, l’homme fait tort à l’écrivain ; on l’a vu de trop près. Pour nous, qui ne saurions prendre aussi à cœur les erreurs du « pauvre Eddy », l’écrivain demeure un artiste original, quoique très incomplet. Il n’y a de vraiment important, chez un poète ou un romancier, que ce qu’ils nous apportent de neuf, de non encore exprimé, sur les quelques grands événements de la vie humaine, les quelques sentiments éternels de l’humanité, qui valent la peine qu’on s’en occupe. Poe a apporté du neuf, du très neuf, mais sur deux sentiments seulement, celui de la peur et celui du mystérieux, et sur un seul événement, la mort. Son domaine a été l’un des plus restreints, parmi tous les écrivains qui comptent. En revanche, il y a été unique, et en art, encore une fois, c’est l’unique qui importe, et qui importe seul.

On ne doit pas finir sans alléguer quelque chose en faveur de l’homme. Toute biographie d’Edgar Poe devrait partir de l’idée que c’était un malade, ne possédant de naissance qu’une force de résistance amoindrie, soit contre la tentation, soit contre les conséquences de son vice. Il paya les fautes de ses pères. Ne dites pas que la responsabilité humaine en est diminuée ; elle en est au contraire élargie, étendue en dehors de nous, au delà de nous, avec une force et une évidence qui accablent. Nos pères répondent de nous, nous répondons de ceux qui sortent de nous. Voilà ce qu’on ne saurait trop se répéter, trop faire entrer dans l’esprit des jeunes gens, afin qu’ils soient maintenus