Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/295

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avait-il écrit quelques lignes, qu’un ami se dressait devant lui et entamait une longue conversation. Gérard reprenait son mobilier de poche et partait[1]. » De déballage en déballage, il arrivait au bout de son article ou de sa nouvelle, mais toujours à la dernière minute, ce qui mettait dans l’angoisse les directeurs de revues ou de journaux. Ils le pourchassaient pour lui arracher sa copie, et Gérard fuyait, indigné contre ces « gens sans pitié ». Un jour qu’il croyait avoir dépisté l’ennemi, il s’était arrêté devant un marchand d’oiseaux à débattre avec lui-même un cas de conscience. Avait-il le droit de donner au perroquet la cerise des serins, puisque les serins n’en voulaient pas ? Quelqu’un lui frappa tout à coup sur l’épaule : — « Et mon article ? » C’était M. Buloz père. Gérard avoua qu’il n’avait pas fini. M. Buloz le prit sans mot dire par le bras, l’emmena à la Revue et l’enferma dans un cabinet jusqu’à ce qu’il eût achevé. Ce n’était pas le premier qu’il mettait sous clef dans des circonstances du même genre, et ce ne fut pas le dernier ; peut-être trouverait-on encore, parmi les vieux collaborateurs de la Revue, des gens qui ont connu le cabinet de pénitence. Cette mésaventure avait accru la méfiance de Gérard de Nerval ; il ne se risquait plus que dans les bureaux de rédaction ayant plusieurs issues.

Délivré de l’article à finir, il retournait devant le marchand d’oiseaux, dans l’espoir — c’est lui qui le raconte — « de comprendre leur langage d’après le dictionnaire phonétique laissé par Dupont de Nemours, qui a déterminé quinze cents mots dans la langue seule du rossignol ». Paris ne possédait pas de badaud plus déterminé. C’est de lui-même qu’il parle quand il raconte les interminables vagabondages de

  1. Champfleury, loc. cit.