Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/297

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laires dont Gérard de Nerval était l’un des plus fidèles habitués. Il connaissait les heures de fermeture de tous les rôtisseurs et de toutes les guinguettes ; il savait lesquels éteignaient le gaz à minuit, lesquels avaient la permission de deux heures, et il vaguait de l’un à l’autre jusqu’à ce qu’on mît les clients à la porte, se faufilant à travers les consommateurs et avalant des boissons infâmes pour entendre parler la sagesse des nations par la bouche des ramasseurs de bouts de cigares et de leurs compagnes. Il aimait à descendre au café des Aveugles, situé dans une cave, et à écouter les discussions des connaisseurs sur le jeu de l’Homme sauvage. Il grimpait de là au bal des Chiens, se faisait écraser les pieds et recevait force coups de coude pour regarder danser les petites ouvrières. Ses principes l’obligeant à se retirer à l’heure où les grisettes étaient remplacées par « des personnes qui sortent des théâtres » et autres établissements publics, il allait s’insinuer à la Société lyrique des Troubadours, dont il avait surpris le mot de passe, et se régalait de chansons dans le genre innocent de Pierre Dupont, paroles et musique des membres de la Société. Pour deux sous, il se réconfortait d’un bouillon de poulet chez un rôtisseur ayant la permission de deux heures, et il gagnait les Halles au moment où le petit carreau commençait à s’animer. Les Halles étaient son lieu de prédilection ; il aurait pu s’y diriger les yeux fermés. Là, à droite, étaient les marchands de sangsues ; en face les « pharmaciens Raspail » et les débitants de cidre, chez lesquels on se régalait d’huîtres et de tripes à la mode de Caen. Un peu plus loin, le cabaret où l’on buvait certaine eau-de-vie de Domfront « inconnue sur les grandes tables » et dont les prix étaient affichés en ces termes : « le monsieur, 4 sous ; la demoiselle, 2 sous ; le misérable, 1 sou. » Plus loin encore, le restaurant