Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/312

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si douce et cependant fortement timbrée me faisait tressaillir de joie et d’amour. Elle avait pour moi toutes les perfections, elle répondait à tous mes enthousiasmes, à tous mes caprices… » Il l’adorait du fond de sa stalle, mais il ne désirait point la voir de plus près : — « Depuis un an, je n’avais pas encore songé à m’informer de ce qu’elle pouvait être d’ailleurs : je craignais de troubler le miroir magique qui me renvoyait son image, — je m’en informais aussi peu que des bruits qui ont pu courir sur la princesse d’Élide ou sur la reine de Trébizonde. » Cela dura jusqu’à ce qu’un incident puéril fît soudain tournoyer devant les yeux de son esprit la ronde d’enfants dansée avec Adrienne sous un ciel de couchant : — « Tout m’était expliqué… Cet amour vague et sans espoir, conçu pour une femme de théâtre, qui tous les soirs me prenait à l’heure du spectacle, pour ne me quitter qu’à l’heure du sommeil, avait son germe dans le souvenir d’Adrienne… La ressemblance d’une figure oubliée depuis des années se dessinait désormais avec une netteté singulière… Aimer une religieuse sous la forme d’une actrice !… et si c’était la même ! » L’énigme restait insoluble ; toutefois il ne s’en tourmentait pas outre mesure, et veillait seulement à compléter son bonheur par des jouissances moins lointaines, sinon moins pures.

L’une des petites paysannes avec lesquelles il avait tant joué à s’embrasser, du temps où il habitait au village, était devenue une dentellière jolie et sage. C’était Sylvie, dont il a conté les métamorphoses successives à mesure que les campagnes devenaient plus « éclairées ». Chaque révolution dans les mœurs lui avait ôté un peu de poésie. Elle avait été d’abord « une enfant sauvage ; ses pieds étaient nus, sa peau hâlée, malgré son chapeau de paille, dont le large ruban