Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/350

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Quand le froid ou la pluie obligeaient Gérard de Nerval à chercher un abri, il redoutait de rentrer chez lui, à cause de son portier ; il avait toujours eu peur des portiers. La police des garnis eut l’œil sur lui, à force de le rencontrer, en compagnie des escarpes, dans les lieux où l’on couche à deux sols de la nuit ; un sergent de ville lui infligea l’humiliation de lui demander ses papiers sur le boulevard des Italiens, au moment où il était arrêté à causer avec des amis. De leur côté, les habitués des cabarets de barrière regardaient de travers ce monsieur en redingote, qu’ils prenaient pour un mouchard, et le menaçaient de lui faire un mauvais parti. Ses amis s’étaient efforcés inutilement de l’arracher à ces milieux dangereux. Il avait fallu y renoncer. — « Qui de nous, écrivait Gautier, n’a arrangé dix fois une chambre avec l’espoir que Gérard y viendrait passer quelques jours, car nul n’osait se flatter de quelques mois, tant on lui savait le caprice errant et libre ? Comme les hirondelles, quand on laisse une fenêtre ouverte, il entrait, faisait deux ou trois tours, trouvait tout bien et tout charmant, et s’envolait pour continuer son rêve dans la rue. Ce n’était nullement insouciance ou froideur ; mais, pareil au martinet des tours, qui est apode et dont la vie est un vol perpétuel, il ne pouvait s’arrêter. Une fois que nous avions le cœur triste pour quelque absence, il vint demeurer de lui-même quinze jours avec nous, ne sortant pas, prenant tous ses repas à notre heure, et nous faisant bonne et fidèle compagnie. Tous ceux qui le connaissent bien diront que, de sa part, c’est une des plus fortes preuves d’amitié qu’il ait données à personne. » Il en donnait de non moins fortes quand il s’assujettissait à remplacer Gautier à la Presse, pendant les voyages de son ami ; Gérard de Nerval ne l’aurait fait pour aucun autre.