Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/357

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malades, et, m’approchant d’une statue de la Vierge, j’enlevai la couronne de fleurs artificielles pour appuyer le pouvoir que je me croyais. Je marchai à grands pas, parlant avec animation de l’ignorance des hommes qui croyaient pouvoir guérir avec la science seule, et, voyant sur la table un flacon d’éther, je l’avalai d’une gorgée. Un interne, d’une figure que je comparais à celle des anges, voulut m’arrêter, mais la force nerveuse me soutenait, et, prêt à le renverser, je m’arrêtai, lui disant qu’il ne comprenait pas ma mission. »

On le transporta dans la maison du docteur Blanche fils, à Passy, où la crise continua. Il se croyait une influence sur la marche de la lune, un autre pensionnaire étant chargé de régler celle du soleil, et il attribuait un sens mystique aux conversations des gardiens et des fous : « Les objets sans forme et sans vie se prêtaient eux-mêmes aux calculs de mon esprit ; — des combinaisons de cailloux, des figures d’angles, de fentes ou d’ouvertures, des découpures de feuilles, des couleurs, des odeurs et des sons, je voyais ressortir des harmonies jusqu’alors inconnues. » Et, tandis que son moi malade, son moi fou, perdait la notion du temps, voyait des Walkyries dans la vapeur de son bain et prenait ses compagnons pour des fantômes, le moi normal, encore intact, bien que réduit le plus souvent au silence et à l’impuissance, observait l’autre avec une vive curiosité, prenait note de ses sensations, de ses idées, de ses extravagances, et amassait les matériaux du livre que Gérard de Nerval allait écrire quelques mois après sous ce titre : le Rêve et la Vie ; Aurélia. Presque toutes les lettres de cette époque témoignent de la netteté d’esprit que peut conserver un fou en dehors de ses manies. À son père : — « Mon cher papa, tu sais, la dernière fois que je t’ai vu, com-