Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sèchement. M. Labrunie est la seule personne qui n’ait point aimé Gérard de Nerval.

En désespoir de cause, l’infortuné avait supplié une société littéraire de lui faire rendre la liberté. On eut l’imprudence d’écouter ses réclamations. Le 19 octobre, il se retrouva sur le pavé de Paris, et le combat final s’engagea aussitôt entre les deux personnalités qui se le disputaient depuis quarante ans. Les aliénistes peuvent en suivre les phases dans l’œuvre qui est le testament de sa raison expirante : — « Je vais essayer, disait-il à la première page, de transcrire les impressions d’une longue maladie, qui s’est passée tout entière dans le mystère de mon esprit ; — et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis senti mieux portant. Parfois, je croyais ma force et mon activité doublées ; il me semblait tout savoir, tout comprendre ; l’imagination m’apportait des délices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues ?… »

Il employa ses dernières semaines à écrire le Rêve et la Vie sur des bouts de papier de toutes provenances, dont le seul aspect disait l’histoire de sa lutte intérieure. Dans les bons moments, Gérard de Nerval dépeignait avec une netteté remarquable, une rare puissance d’analyse, la marche et la filiation des conceptions délirantes, « les rapports avec les milieux, les circonstances, les accidents, les antériorités et les souvenirs de la veille et du rêve[1] ». C’était véritablement « la Raison écrivant les Mémoires de la Folie sous sa dictée » ; un médecin, étudiant un aliéné, n’aurait pas procédé avec plus de sang-froid. — Venait

  1. Gérard de Nerval, par Alfred Delvau.