Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/367

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mort et de soi-même, pour penser à mourir dans la rue de la Vieille-Lanterne, et c’est pourtant là qu’on trouva, le 26 janvier 1855 à l’aube, le cadavre de l’un des êtres les plus étrangers à toute action vilaine qui aient jamais foulé cette terre. Gérard de Nerval s’était pendu avec le cordon de tablier au barreau d’une fenêtre située sous l’auvent. Le corbeau voletait autour de lui. Les gens du garni déclarèrent qu’on avait frappé à leur porte vers trois heures du matin et qu’ils ne s’étaient point levés pour ouvrir, à cause du froid. L’enquête établit qu’il y avait bien eu suicide, et non assassinat comme quelques-uns en avaient exprimé le soupçon.

Une foule en larmes suivit le convoi. Ce fut un spectacle, pour le badaud parisien, que celui de tous ces hommes connus ou célèbres qui pleuraient comme des enfants et refusaient d’être consolés, parce qu’ils n’avaient pas su sauver leur bon Gérard, leur doux ami, auprès duquel ils se sentaient meilleurs. On raconta que le pauvre poète s’était tué de misère, et ce reproche détourné aiguisa leur douleur. Aucun d’eux ne l’avait mérité. Gérard de Nerval avait toujours gagné le nécessaire, et puisé le reste dans des bourses qui n’étaient jamais fermées pour lui. D’autres affirmèrent qu’il n’avait pas voulu survivre à la perte de ses facultés. Paul de Saint-Victor suggéra une explication mystique : — « Il est mort, on peut le dire, de la nostalgie de l’invisible : ouvrez-vous, portes éternelles ! et laissez entrer celui qui a passé son temps terrestre à languir et à se consumer d’attente sur votre seuil. » Gérard de Nerval, en effet, avec sa grande foi à cet au-delà que des visions répétées lui avaient rendu familier, devait aspirer à s’échapper de la prison de chair que les ténèbres envahissaient. Mais la meilleure raison à donner de son suicide, c’est qu’il était fou.