Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/76

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cet instant la surface du globe ; et parmi tous ces bruits, à une distance de six mille milles, il distingue les pas particuliers du jeune Aladdin, qui joue dans les rues de Bagdad. À travers cet inextricable labyrinthe de sons,… les pieds d’un enfant isolé marchant sur les bords du Tigre sont reconnus distinctement, à une distance qu’une armée ou une caravane mettrait quatre cent quarante jours à franchir. Ces pieds, ces pas, le magicien les reconnaît, il les salue en son cœur comme les pieds, comme les pas de cet enfant innocent par les mains duquel il a chance de saisir la lampe[1]. »

Un enfant ordinaire aurait trouvé tout naturel qu’un magicien entendît et comprît ce qui se passait à l’autre bout de la terre ; c’était son métier de magicien. Le petit Thomas eut l’intuition que le conte merveilleux présentait sous une forme figurée l’une des grandes énigmes de l’univers. Il la débrouilla comme il put, et pas trop mal, puisque les années l’affermirent dans son idée. Plus il fut en état de raisonner, plus il demeura convaincu qu’il existe entre les choses les plus éloignées par le temps ou l’espace, les plus étrangères les unes aux autres en apparence, des relations obscures et insondables, issues de lois et de forces ignorées de l’humanité. Le don surnaturel attribué au magicien d’Aladdin n’était que la représentation poétique de l’un de ces secrets « sublimes ». « Après avoir laissé de côté comme inutiles des milliards de sons terrestres, après avoir concentré son attention sur un certain bruit de pas, il a le pouvoir encore plus incompréhensible de déchiffrer dans ce mouvement précipité un alphabet infini de symboles inconnus. En effet, pour que le bruit des pas de l’en-

  1. Autobiography, Infant literature.