Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/83

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orgue délicatement ouvragé, seul ornement de sa bibliothèque, et entonna un cantique[1]. Il faut ne pas savoir ce que c’est que d’aimer ses livres pour se représenter cette scène sans émotion.

Des intimités aussi peu naturelles ne permettent guère à un adolescent d’ignorer qu’il est différent des autres. Quincey savait qu’il avait eu trop tôt un esprit d’homme, des goûts et des sentiments d’homme. Mais il n’y pouvait rien. Il était entraîné « comme par une cataracte » vers des problèmes au-dessus de son âge, de ses forces, « de toutes les forces humaines ». C’était une fascination, un besoin âpre et maladif. On le fit voyager : il racolait partout des auditeurs, amusés d’entendre ce blanc-bec parler éloquemment sur les sujets les plus sérieux et les plus abstraits. On l’envoya en visite dans des châteaux : il communiqua sa fièvre de savoir aux belles dames, qui se mirent à apprendre le grec, l’hébreu et la théologie sous sa direction. On le mena à une grande fête où était la cour d’Angleterre : il ébaucha séance tenante une philosophie de la danse, « la forme la plus grandiose de tristesse passionnée » que l’homme ait inventée, et un éreintement du rire, compagnon louche du bas comique et des plaisirs vulgaires.

Il n’y avait rien à faire que de se résigner à avoir un enfant prodige, et de l’envoyer le plus tôt possible, selon son désir, à l’Université d’Oxford. C’était très simple, et ce fut pourtant l’origine de tous ses malheurs.

  1. A Manchester Swedenborgian.