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L’APPEL AU SOLDAT

que donneront des élections ? et, si l’on se borne à proroger la Chambre, dans quels sentiments reviendra-t-elle ?

On montre à l’Élysée le cabinet où Louis-Napoléon, dans la nuit du 1er  au 2 décembre 1851, arrêta les dernières dispositions de son acte anti-parlementaire. Si le boulangisme, qui n’est pas né en novembre 87, réussit par la suite, c’est dans le cabinet de Georges Laguerre, rue Saint-Honoré, en face du perron de Saint-Roch où Bonaparte mitrailla les sections, et non loin de la maison de Robespierre, qu’on pourra commémorer les premiers consentements intérieurs de Boulanger à un appel au soldat. Il vit, au cours de ce long débat nocturne, l’immoralité de ces parlementaires qui, en facilitant à Grévy le moyen constitutionnel de se maintenir, l’auraient sauvé contre le vœu du pays. Il démêla dans leur intrigue l’obliquité et la faiblesse des moyens. Renversé dans un fauteuil, un peu à l’écart du cercle principal, il affectait un air ennuyé et lassé. L’aigu Clemenceau semble avoir entrevu ce qui se passait dans l’esprit de cet auditeur muet ; il se pencha vers un voisin :

— Et dire qu’un général français entend tout cela !

Oui, Boulanger entendait que le parlementarisme est un poison du cerveau comme l’alcoolisme, le saturnisme, la syphilis, et que, dans les verbalismes et la vacuité de ce régime, tout Français s’intoxique.

À mesure que le débat se prolongeait, la situation apparaissait inextricable et telle qu’on n’en pouvait sortir que par un coup de force. Clemenceau le marqua avec cette brutalité directe qui fait à la tribune la puissance de ses interventions quand il débute par son éternel : « Il est temps de parler net. »