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L’APPEL AU SOLDAT

général Boulanger accepterait-il que l’armée assurât les grands services publics et qu’un chef de corps administrât les territoires de son commandement ?… Nous entendons d’ailleurs qu’il conviendrait de décentraliser les pouvoirs régionaux et communaux ; d’alléger l’État de prérogatives qui le rendent odieux dans les petits détails, et de remettre aux citoyens les intérêts locaux. »

Sturel se chargea sans enthousiasme de remettre ce programme au Général. Son sens critique avait cessé de collaborer à son boulangisme. « Vive Boulanger !  » fait pour lui un total d’affirmation suffisant : c’est le coup de clairon dont frémit sa moelle épinière, toute la série de ses réflexes, et qui contente ses besoins de discipline et de fraternité, son désir de se rallier à la France éternelle.

Le lundi 24 avril, à neuf heures du matin, Suret-Lefort et Sturel montèrent au quatrième étage de l’Hôtel du Louvre. Il n’y avait pas d’antichambre. Le couloir était plein d’une foule épaisse. Suret-Lefort remit sa carte, avec le nom de son ami, au garçon attaché par l’hôtel à la personne du Général. Il l’appelait familièrement Joseph. Joseph se glissa par une porte entrebâillée, de façon que les visiteurs ne vissent pas l’intérieur de la pièce.

— Il n’a que deux chambres, dit Suret-Lefort ; son bureau lui sert de salle à manger. Au milieu de cette foule, Renaudin évoluait. Il s’était donné un rôle de factotum, d’aide de camp. Il espérait qu’après les batailles la révision des grades lui laisserait quelque chose de cette dignité un peu flottante. Tous les matins, sous prétexte de