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STUREL CHEZ LE SYNDIC DES MÉCONTENTS

prendre les ordres du Général pour le journal, il arrivait, causait avec les visiteurs, se rendait compte de leur qualité, et, par un billet au crayon, prévenait le chef qu’il donnât un tour privilégié à un visiteur intéressant ou qu’il se méfiât d’un raseur. Tandis que ses deux amis attendaient, de temps à autre il les rejoignait pour leur présenter cérémonieusement quelque visiteur, qu’avec un sérieux imperturbable, fait d’un tour mystificateur de rapin et d’un instinct cruel, il échauffait d’approbations et de promesses. Au fils d’un révoqué du Seize-Mai qui venait se recommander :

— Dépêchez-vous, jeune homme, nous n’avons plus que des sous-préfectures.

À un brave homme qui se scandalisait, disant :

— Notre Général est dans un petit appartement garni, quand un Ferron-la-Honte s’étale dans les salons du ministère de la Guerre.

— Un pied-à-terre, répondait-il, le temps pour nous de rebâtir les Tuileries.

Colportés à travers Paris, pris au sérieux par la province, ces traits humoristiques servaient mal le Général. Suret-Lefort souriait obligeamment de cette verve basse. Sturel n’écoutait pas.

Sa puissante imagination ramassait et interprétait chaque objet dans le tumulte de ce corridor. Tout ce désordre lui était clair, car son âme était de ce mélange. Sans relations, incapable de juger d’après des vues particulières, il interprétait tous ces êtres comme des symboles, des signes. Ils sont délégués par ce grand troupeau des fellahs, qui, fortement attachés le long des siècles au sol, acceptent sans intervenir toutes les dominations : vrai ferment, de