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L’APPEL AU SOLDAT

s’incline, explique, s’embrouille un peu, et Laguerre, avec une charmante bonne grâce dans la raideur, avec un ton âpre auquel succèdent par intervalles des douceurs chantantes, écoute, approuve et termine plus haut, mi-sérieux, mi-plaisant :

— Dans six mois, quand nous serons au pouvoir, nous vous donnerons toutes les satisfactions que vous désirez.

Puis, dégagé par l’habile Renaudin, il disparaît dans la porte que tous envient.

— Il n’a pas trente ans ! dit Suret-Lefort à Sturel. Dix minutes encore, et qu’est-ce donc ? Le Général ! Oui, lui-même ! Il reconduit son favori Laguerre. Debout, cette petite foule, et quel enthousiasme ! Il y a deux, trois « Vive Boulanger ! » apaisés aussitôt de sa main. Laguerre, d’une voix haute et sèche, avec l’aspect le plus rare de jeunesse un peu vaine, vient d’appeler Naquet, et tous trois, sur le pas de la chambre, se concertent. Des millions de Français voudraient avoir cette photographie-là.

C’est un chef sur le seuil de sa tente qui confère avec deux principaux lieutenants pour le salut de l’armée. D’un prestige admirable et qui donne aux assistants le désir de se dévouer, comme il se tient avec aisance ! et quelle jeunesse dans les ovations qui l’assaillent ! « Des armes ! à la bataille ! » crieraient pour un peu ces civils en chapeau haut. Voilà des personnages bien divers, et qui représentent des formes sociales très variées, même opposées, mais à travers eux tous se conserve l’unité psychologique du boulangisme : l’élan. Une longue hérédité s’émeut dans leurs cœurs pour ce brennus. Ils le voient, l’admirent et lui jurent qu’il vaincra, tandis