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STUREL RENCONTRE MADAME DE NELLES

de ses véritables domaines : il revécut en quelques secondes ces époques abondantes de romanesque et de travail dont Mlle  Alison avait été le témoin à la villa Coulonvaux, rue Sainte-Beuve.

Elle lui fit un accueil amical. Ses épaules nues, sa peau d’une finesse prodigieuse, son maintien créaient de la volupté, et quelque chose combattait pour elle plus ample et plus puissant que chez toutes les femmes belles, fines, spirituelles, assemblées, demi-vêtues, sous ces éclatantes lumières. Cette force sous-jacente, inexprimable, que subit Sturel, c’était le long passé de sensations qui les reliait l’un à l’autre et les mettait sur une pente de rêverie.

Avec le goût qu’il rapportait épuré d’Italie pour les objets esthétiques, il l’admirait : mais il trahit, mêlée à son émerveillement, une opiniâtre et confuse douleur devant ce corps qui lui avait été volé.

— Pourquoi me regardez-vous ainsi ? Suis-je changée ? lui dit-elle, par deux fois, avec la sécurité de ses vingt-trois ans.

Il ne se hâta pas de répondre. Et son silence qu’elle accepta indiquait leur entente. Puis il lui expliqua comment dans sa parole, son regard, son sourire, sa figure et la physionomie de sa robe il retrouvait toutes les belles images qu’à vingt ans il se composait de la vie.

— Oh ! s’écria-t-elle, dans ce temps-là j’étais meilleure qu’aujourd’hui.

— Pourquoi donc ? interrogea le jeune homme, qui la savait bien un peu mûrie, mais à qui cette tare légère la faisait paraître plus femme qu’autrefois.

— Je n’avais rien de trouble. Je cherchais partout de belles âmes.