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AMOURS DE STUREL ET DE MADAME DE NELLES

meusienne. Gigantesque, et triste comme un chameau sous la neige, elle travaillait dans une blanchisserie, dans une « salisserie » plutôt, pensa Sturel. La confusion, la crainte, empêchèrent qu’elle appréciât cette visite. Elle ne pensa dans cette minute qu’à sa déchéance, elle qui, sous le nom de Madame Racadot, avait possédé un si beau mobilier. Bien loin de se féliciter que la lettre fût tombée aux mains d’un vieil ami et d’en profiter pour l’exploiter, elle se disait : « Ma fille, la voilà bien ta guigne ! » Elle ne s’illumina qu’au nom du Général.

— Ah ! celui-là, il tient pour les petites gens. C’est pas trop tôt ! Vous en êtes donc des boulangistes, monsieur Sturel ? Alors vous comprendrez le Fanfournot.

Elle expliqua l’affaire et montra des papiers. Au commencement d’avril, deux ouvriers avaient dîné ensemble et sortaient d’un débit du boulevard de Port-Royal. L’un d’eux, âgé de vingt-quatre ans, mécanicien très expérimenté au service de l’Observatoire, fréquentait les réunions depuis cinq ans ; le second avait vingt-deux ans et dessinait. Ils s’étaient raconté l’un à l’autre tout ce que l’on sait sur la police. Alors le mécanicien dit : « Nous allons casser la gueule à un agent. » Cela fit rire le dessinateur qui approuva. Place d’Enfer, ils en virent quatre et trouvèrent que c’était trop. Boulevard Arago, un autre s’avançait. « Ça va être celui-là », dit le mécanicien, et au passage il lui donne un coup d’épaule. L’agent continue sa route. « Tu vois comme ils sont courageux ! » Le dessinateur s’égaye de nouveau. L’agent revient sur le rieur : « Qu’est-ce que vous avez à contester ? » Le mécanicien l’hébète d’un formidable