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AMOURS DE STUREL ET DE MADAME DE NELLES

C’est là que furent placés Fanfournot et son compagnon qui, malgré ses vêtements déchirés, paraissait doux et propre. Le matin, comme on descendait au préau, un des détenus fredonna La Bataille : « Debout, enfants des fusillés ! » « Vous êtes socialiste ? » lui dit le mécanicien. Le chanteur regarda avec mépris ce naïf. « Je suis un anarchiste de la fédération jurassienne. » Il recevait des visites de sa femme à qui la Révolte faisait une pension de trente francs par mois, sur la Caisse des détenus politiques. Fanfournot et son compagnon ignoraient même le nom d’« anarchiste ». Tous trois se lièrent et s’accordèrent pour souhaiter le succès du général Boulanger. Ils chargèrent la Léontine, au parloir, de lui transmettre leurs plaintes et leurs vœux.

Sturel, dans cet instant où il espérait tant de la vie et croyait qu’une époque nouvelle commençait pour la France, aurait voulu repêcher ces humbles, mais la grande Léontine avait les reins cassés par des privations excessives, et ces hommes par leur effort, d’ailleurs imbécile, pour comprendre la société. Il se borna à fortifier dans cette âpre visite son besoin d’un Messie, et laissant un billet de banque à la Léontine, il s’en alla conter l’histoire rue de Prony.

Mme  de Nelles ne lui cacha pas qu’il valait mieux que de telles besognes. Comment le Général l’envoyait-il chez des gens si sales ?

En le forçant à taire l’intérêt qu’il y prenait, elle introduisit de l’hypocrisie dans leurs relations : ce qui les faisait moins nobles, mais facilitait la séduction.

Il se félicitait d’avoir, en dehors de ses terres de combat, un lieu d’oisiveté et de rêve. Comme des particules odorantes se détachent d’un morceau de