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L’APPEL AU SOLDAT

mentaire en logique de… » Alors les malheureux se hâtent de rire, comme s’ils avaient voulu badiner ; ils ont appris, au cabaret électoral, à tourner une difficulté en plaisanterie. Lui, Bouteiller, fût-ce à la buvette, ne plaisante jamais : il les poursuit dans leur retraite embarrassée, il veut qu’ils se sachent des petits enfants, et il prolonge son explication avec l’insistance la plus humiliante. Voilà son ordinaire. Au cours de cette suspension de séance, ce fut bien pis : il écouta dans six ou sept groupes et ne daigna pas répliquer un mot ; il s’éloigna comme un promeneur, ayant considéré un instant les bêtes du Jardin des Plantes, les quitte sans leur donner son impression.

On le déteste, on le trouve pion. Dans ses manières quelque chose, en effet, subsiste de sa formation professionnelle : un avocat est rompu à écouter les plus insipides arguties, tandis qu’un professeur toujours veut régenter. Celui-ci a fait le tour de tous les systèmes ; il ordonne et domine ses pensées ; par le baron de Reinach, il est fort suffisamment averti des affaires : il ne se doute pas qu’il faut aussi connaître les hommes. Où donc aurait-il appris à lire dans l’œil, à comprendre les épaules, le ventre, les jambes, tout l’animal ?

Au lycée de Nancy déjà, il réunissait cette double brutalité du magister et de l’homme abstrait. Pourtant il regardait les gens dans les yeux ; il aimait à voir son effet. Aujourd’hui, Ses caractères se marquent jusqu’à l’excès, comme dans une caricature. Son regard passe par-dessus la tête de son interlocuteur, et depuis longtemps incapable d’amitiés, il se défend toutes préoccupations particulières. Il