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LE POINT CULMINANT

Renaudin, déconcerté s’il s’agissait de discourir et d’ailleurs antipathique, fit une campagne atroce d’injures, de dénonciations contre les chefs possibilistes qui tenaient pour Jacques. Naturellement cruel, il assumait avec plaisir des lâches nécessaires mais dangereuses. Ce que la prudence eut évité, son goût voluptueux des basses besognes le recherchait. Par là grossissaient formidablement les haines personnelles qu’il avait commencé d’amasser dans sa campagne contre les dépositaires d’objets manufacturés à l’étranger. Les personnes, comme il y en a toujours, affamées de conciliation, se disaient les unes aux autres : « Oh ! celui-là, je vous l’abandonne ; c’est une simple canaille. » En outre, l’argent, qu’il appelait fâcheusement « de la bonne galette », tenait une grande place dans ses propos, parfois pittoresques et toujours cyniques. Pour passer du rôle d’agent à celui d’homme politique, il manquait de la chose essentielle : les bonnes apparences.

Sturel jouissait jusqu’à l’ivresse de ces agitations. Il servait son parti comme un jeune soldat son drapeau. Un amour fraternel l’emplissait pour tous ces inconnus qui, chaque soir, se ralliaient au cri de « Vive Boulanger ! » Sans ambition déterminée, pour le plaisir de se mêler à un sentiment collectif et de respirer au centre de l’énergie nationale, il se donnait en toute bonne volonté au Chef et à ses lieutenants. Rien d’autre que cette forte tragédie ne pouvait alors posséder ses esprits. Auprès de sa jolie maîtresse, il semblait un jeune colonel de l’Empire entre deux campagnes. Il croyait entendre son cheval piaffer à la porte.

— À quoi penses-tu ? — lui dit, un des premiers