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LE POINT CULMINANT

anxiété les cartes, et posait la question de Laguerre. « Ensuite, mon Général, que ferons-nous ? »

Tout cet immense Paris passa la soirée du samedi 26 janvier et la journée du dimanche dans l’état des professionnels qui attendent sur un vélodrome les coureurs partis de Bordeaux. C’était une fête, car les rues, les quais, les brasseries et les énormes faubourgs, tout travail suspendu, bavardaient, mais la crainte, l’espoir, la colère, l’incertitude, tant d’ambitions surexcitées déterminaient des battements de cœur qui palissaient les visages. Dès les premières heures du 27, quand les masses anonymes gravirent les lieux de vote, les connaisseurs discernèrent que Boulanger avait sorti de leur indifférence les plus obstinés abstentionnistes.

— Moi, monsieur, — dit à Sturel son concierge qui avait à l’état constant une expression réfléchie, — j’étais pour le petit Prince Impérial !

Et il partit confondre son bulletin avec les bulletins des blanquistes, catholiques, monarchistes, républicains et incolores, dans un parti simplement national.

Cependant vers six heures du soir, à Bouteiller qui, assiégé de pressentiments, lui parlait de précautions à prendre, le président du Conseil répondait, comme un radical doit parler à un opportuniste :

— Dans une heure, monsieur, vous me demanderez pardon d’avoir douté de Paris.

Une heure plus tard, les premiers résultats parvenaient aux bureaux presque déserts de la Justice, et Clemenceau jetait cette interrogation :

— Dites donc, un tel, vous qui êtes allé à Nouméa, racontez-nous la vie là-bas.