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UN SOLEIL QUI VA BIENTÔT PÂLIR

radeau en détresse et que suivent quelques douzaine de requins. »

Personne ne donna de prise à Sturel.

— Vraiment, il y a eu des corruptions ?…

— Vous avez raison, ce serait très beau de retrouver un peu de l’argent gaspillé.

— Mais retrouve-t-on jamais un argent égaré ?

Laguerre, plus libre, prit la parole et fut immédiatement écouté avec une profonde attention :

— En août 1888, j’ai fait la connaissance d’un nommé Arton. Il m’a raconté qu’au moment de l’élection du Nord il fut l’intermédiaire de la Compagnie de Panama pour verser 300.000 francs au gouvernement. Le 14 décembre 1888, on nomma un administrateur provisoire à la Compagnie. Je puis bien dire, n’est-ce pas, mon Général, qu’à cette date nous discutâmes si nous parlerions dans la presse des libéralités exigées par le ministère Floquet. Plusieurs administrateurs de la Compagnie nous étaient favorables. Ils remirent au Général la liste de leurs actionnaires et obligataires, à qui nous fîmes tenir une circulaire spéciale. On décida de ne pas desservir la Compagnie. Je raconte cette histoire au point de vue anecdotique, puisque désormais elle n’a plus d’intérêt.

Ils glissèrent à d’autres sujets, le Général, ce qui est l’art du chef, loin de les départager, les ayant tous approuvés. Si expansif d’ordinaire, il paraissait inquiet, préoccupé ; par instant, son œil bleu se perdait dans le vague.

Mme de Nelles se sentait seule dans ce dîner et souffrait du goût de Sturel pour Boulanger et pour tous ces hommes. Elle l’aimait d’être si jeune, si