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UN SOLEIL QUI VA BIENTÔT PÂLIR

— Je ne suis pas un moraliste, mais un homme de gouvernement. Il est possible que des fautes lourdes aient été commises. Je les ignore. Les connaîtrai-je, je ne suis pas en mesure de faire rendre gorge.

Voilà qui contente Nelles. Animé par ses vins, par le succès de sa réception, convaincu que leurs anciennes difficultés sont aplanies et qu’il possède en Sturel un ami de sa maison, un associé, il l’attire sur un canapé et lui dit :

— En admettant qu’il y ait eu des ventes d’influence, comment les prouver ? Croyez-vous que les corrupteurs bavardent ? Ainsi, moi qui vous parle (et il se mettait l’index dans le creux de l’estomac) j’ai été chargé d’une mission près d’un Parlement étranger par une société d’appareils électriques français, Certain pays avait voté un tarif douanier qui majorait nos charges de 50 pour 100. Nous avons décidé de sacrifier 25 pour 100 de nos bénéfices pendant trois ans et nous avons obtenu qu’on réduisît les droits. Ah ça ! espérez-vous que je dise jamais avec qui je me suis mis en rapport ?

Il se leva, ouvrit par trois fois la bouche en se penchant vers Sturel et de la façon d’un homme qui dit en bouffonnant : « Ça vous étonne, mon petit ! » Le jeune homme trouva que Thérèse de Nelles elle-même en était un peu dégradée, et il demeura quelques instants isolé pour laisser l’aveu de cet inconscient descendre dans sa conscience, où il allait devenir une de ces données de l’expérience d’après lesquelles nous jugeons le monde. Il se rapprocha de sa maîtresse et de Rœmerspacher pour leur confier que des gredins les entouraient. Sa