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LA FIÈVRE EST EN FRANCE

nurent et que nous pouvons nous représenter les conditions de leur séjour, ces réalités, qui pour un instant nous sont communes avec eux, nous forment une pente pour gagner leurs sommets : notre âme, sans se guinder, approche de hauts modèles qu’elle croyait inaccessibles, et, par un contact familier de quelques heures, en tire un durable profit.

C’est ici qu’en 1790 Goethe ramassa un crâne de mouton et entrevit pour la première fois que toutes les différences de structure entre les espèces animales peuvent être ramenées à un seul type anatomique, que des causes variées modifient. Mais Sturel, aux lieux mêmes où Goethe apprit d’un mouton les procédés de la nature, ne sait pas écouter ce génie qui le soumettrait aux lois naturelles. Il s’enivre, au contraire, de Byron qui, sur ce sable, passa d’innombrables heures à faire galoper ses chevaux. Byron s’était volontairement arraché à sa sphère pour courir vers un avenir, vers un univers meilleurs : il ne put trouver où se fixer, moralement ni physiquement. Dans ses frénésies vénitiennes, il cherchait à fatiguer son âme. Quelle grandeur morale ! pense le naïf Sturel ; il se détruisait, plutôt que d’abaisser, en acceptant les réalités, l’impossible idéal qu’il entrevoyait. À la façon des grands artistes auxquels on dénonce des parties répréhensibles de leur œuvres, Byron, interrogé sur cet emploi de son existence, pourrait répondre : « J’ai agi de cette manière à mon grand regret et contre ma haute conception de moi-même ; cependant je m’y suis résolu, parce que, dans les circonstances données, c’était encore ainsi que je m’en rapprochais le plus. »

Sturel trouve au Lido d’illustres prédécesseurs qui