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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

de la plaine, voire avec plaisir, ces forestiers devenus ouvriers d’usine accepteraient une organisation de la propriété conforme aux vœux du prolétariat industriel. Qu’ils sachent ou non formuler leurs besoins, une réforme est ici nécessaire, car la race déjà déchue disparaîtrait par l’alcoolisme, conséquence d’une détestable exploitation de la main-d’œuvre.

À chaque développement de leur bicyclette, Sturel et Saint-Phlin devaient voir une population mieux enracinée et des cités plus mémorables. Ils déjeunèrent à Remiremont, puis, au soir de cette première belle journée, sortant de la montagne granitique, ils touchèrent à Épinal, dont les terres sont rouges, le seuil du grand plateau lorrain. Plus qu’aucune ville, celle-ci charge La vallée de fabriques qui, fortement installées sur de solides pentes vertes et parmi de noirs bouquets de sapins, communiquent au paysage un caractère de puissance et de santé sociale.

(De Bussang à Épinal, 60 kil.)

Vers Châtel, à 15 kilomètres d’Épinal, comme on dévale par les terrasses du trias, la vigne apparaît, se substitue sur de vastes espaces aux forêts et bordera la rivière jusqu’au Rhin, s’améliorant d’étape en étape, pour fournir les crus fameux de la Moselle. Dès Thaon, celle-ci a cessé son travail. Elle glisse parmi des saules épars et de grands peupliers verts, élégamment vêtus jusqu’à terre de branches frémissantes. Gracieuse avec ses circuits, ses eaux bleues, ses parures variées, elle s’amuserait, se déplacerait, si le canal de l’Est voulait bien la quitter. Ce tuteur morne, utilitaire et rectiligne, la contrarie. Mais Lui-même,