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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

de Nancy du Téméraire qui avait rêvé l’annexion de l’état lorrain ! Quelle digue nous élevâmes contre le protestantisme, flot venu de l’Océan germanique dont le sel eût transformé nos terres ! Quelle fidélité les gentilshommes lorrains gardèrent à leurs souverains en dépit de la puissance cruelle des Richelieu et des Louis XIV, et lors même qu’un Charles IV fut exilé pour un demi-siècle ! C’est que nous n’étions pas un morceau quelconque de territoire, un domaine, mais un petit État, une nationalité ; nous aimions dans nos ducs notre épée et nos institutions, notre faculté directrice. De là notre maison ducale recevait un puissant principe de vie. Malheureusement elle était inférieure en intelligence aux Capétiens.

À Charmes, Saint-Phlin dit à Sturel :

— Nous avons le temps de flâner.

Avec l’aide du plan, ils allèrent dans une prairie, entre la ville et le Haut-du-Mont. Un étang marque encore les réserves où s’alimentaient les fossés du rempart.

— Dans ce lieu, dit « pré des Suédois », les bandes stipendiées par Richelieu après la mort de Gustave Adolphe pendirent les notables.

— Ne récriminons point là-dessus, dit Sturel ; je me rappelle qu’en 1870, dans cette même petite ville, les Allemands tuèrent à coup de baïonnette, dans la rue, le pharmacien Mariotte.

— Récriminer ! dit Saint-Phlin. C’est moi que tu soupçonnes de vouloir quereller les faits, moi qui te mène prendre leur leçon !… Je voudrais seulement diviser notre sujet ; c’est exact que la France et l’Allemagne nous ont travaillés à l’envi, mais on ne peut pas tout mener de front : nous examinons pour l’ins-