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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

satisfaction que dans le triomphe de la nationalité lorraine.

Ces mornes plaines et ces siècles qui d’abord semblaient ordinaires et maussades à Sturel, maintenant il leur sentait du caractère : il leur savait gré de n’être ornés d’aucun romanesque fade, mais nus et brutes comme l’histoire avant que les historiens la policent. Il disait : « Nous autres Lorrains, nous ne cherchons pas à étonner. » Une fois de plus les deux jeunes gens déploraient les humanités vagues, flottantes, sans réalité, qu’on leur avait enseignées au lycée, quand le vrai principe c’est l’éclaircissement de la conscience individuelle par la connaissance de ses morts et de sa terre.

— Comme nous serions ordonnés et plus puissants, se disaient-ils, si nous comprenions que les concepts fondamentaux de nos ancêtres forment les assises de notre vie ! Mis à même de calculer les forces du passé qui nous commandent, nous accepterions, pour en tirer profit, notre prédestination. Tout médecin admet que pour connaître un homme il ne suffit pas de l’examiner à trente ans : il faut savoir quel enfant il fut, les maladies qu’il traversa, et son père et sa mère. Or, nos éducateurs ne se préoccupèrent pas une fois de ce qu’est la Lorraine ! Un jeune être isolé de sa nation ne vaut guère plus qu’un mot détaché d’un texte.

La vérité de leurs conceptions les enivrant de sa force écartait même la fatigue physique. Quel plaisir, quand la route suit en balcon la courbe des collines, à passer de la vallée-mère soudain dans les vallées secondes, et à comprendre les plis du terrain, les hauteurs différentes, les pentes de végétation variée