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L’APPEL AU SOLDAT

qui lentement écoulent tout le pays sur la Moselle ! Assis sur le côté d’un petit bois, ils se reposèrent d’un dur parcours de soleil ; un vent léger froissa les eaux, pour qu’elles fussent comme l’écaille luisante d’un poisson bleuâtre. Puis le soir vint plus doux, plus indulgent, et, en même temps que les animaux sortaient de leur retraite, eux-mêmes accéléraient leur course et s’enivraient de la transparence universelle, de l’harmonie de la terre natale. Il y avait des bêtes, des petits moucherons qui jouaient gaiement dans l’air, dans les rais du soleil, et ils se connaissaient pareils à ces insectes-là, qui ne vivent qu’une minute ; mais dans leur activité éphémère, Sturel et Saint-Phlin, du moins, prennent conscience des lois du développement, ils saisissent leurs rapports avec les choses et leur position dans la suite des étapes franchies à travers les siècles par la population de ce territoire.

Ils s’amusèrent à monter à pied la côte de Richardménil. Saint-Phlin montra les deux châteaux à son ami en lui disant :

— Ici et à Ludres, en face, habite depuis le treizième siècle une famille de la chevalerie lorraine, les Ludre. En 1282, elle acquit son fief — une maison forte, un moulin, des prés, des vignes, des hommes et des femmes, serfs attachés à la glèbe — environ pour 3,500 francs de notre monnaie. De l’autre côté de la Moselle, sur la rive gauche, voilà la région de Vézelise, le cœur de la Lorraine ; ici tout près, à notre droite, sombre et menaçant sous la nuit, c’est un petit pays historique : le Vermois. Ce simple plateau, ah ! si nous pouvions l’analyser en détail, nous le rendre intelligible ! Connaître vraiment,